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Aux origines du cinéma, les films duraient 46 secondes

  • Photo du rédacteur: Maëlle BILLANT
    Maëlle BILLANT
  • 25 août
  • 4 min de lecture

Qui évoque le cinéma pense spontanément aux longs-métrages projetés sur grand écran. Pourtant, les racines du cinéma plongent dans une tout autre réalité : celle du format court. Aujourd’hui, le duanju, format ultra-court lui aussi, avec des épisodes d’une durée de 1 à 3 minutes pensés pour l’ère du mobile, nous invite à replonger dans le cinéma des origines, notamment celui des Frères Lumière.


Les Frères Lumière : inventeurs du cinéma sur grand écran et du format court


En 1895, Louis et Auguste Lumière présentent au public leur cinématographe. La démonstration inaugurale, avec le célèbre film « La Sortie de l’usine Lumière » durera 46 secondes seulement ! La raison ? Une contrainte technique : la pellicule ne permettait pas de filmer plus longtemps.


Format court ne signifie pas pour autant improductif. Preuve en est, entre 1895 et 1905, les frères Lumière réalisent plus de 1400 films numérotés et répertoriés, auxquels s’ajoutent plus de 600 autres hors catalogue. Presque tous respectent cette contrainte : moins d’une minute, une seule prise, un cadre fixe. Et pourtant, ils réussissent à capturer des instants forts et universels : des enfants qui jouent, des scènes de vie et le quotidien des rues. Ces micro-séquences ont déclenché l’enthousiasme du public et ouvert la voie à un art nouveau.

Des frères Lumière au duanju, le format court s’exporte et relève aussi d’une expérience internationale. Les Frères ont rapidement formé des opérateurs à utiliser leur invention, ceux-ci voyageant ensuite dans le monde entier pour filmer des événements locaux. De la même manière, le duanju traverse tous les continents, avec des adaptations locales des séries à succès.


On associe donc volontiers cinéma et long-métrage, mais le cinéma est né court. Et à ce titre, le duanju ne fait pas figure de rupture, mais de continuité.


Duanju : le format court choisi et non subi 


Si les films des Lumière étaient courts par nécessité technique, le duanju adopte le format court par choix stratégique. À l’ère des usages mobiles, du temps d’attention fragmenté et des multiples sollicitations numériques, les spectateurs privilégient des formats brefs, efficaces, immersifs. Les épisodes des duanju correspondent tout à fait à ces nouveaux comportements et aux attentes actuelles, où l’attention se capte et se retient vite.


Pourtant, les deux démarches se rejoignent. On observe une même efficacité narrative : en quelques secondes, il faut installer un lieu, une ambiance, des personnages, une situation. La même puissance de suggestion doit être convoquée : les images doivent immédiatement impliquer le spectateur. Enfin, l’économie de moyens demeure d’une époque à l’autre : les Lumière tournaient en une seule prise. Le duanju, quant à lui, privilégie souvent des tournages rapides, à budget maîtrisé et au nombre de prises limité. Dans les deux cas, la brièveté devient une contrainte créative.


Quand la contrainte nourrit l’art


Le film expérimental "Lumière & Company" illustre parfaitement l’héritage artistique des Frères Lumière et sa continuité dans la création contemporaine. En 1995, pour célébrer les 100 ans du cinéma, une quarantaine de réalisateurs de renom, de Wim Wenders à David Lynch, ont accepté de tourner un film en respectant les règles techniques des Frères Lumière : une durée maximale de 52 secondes, trois prises maximum, aucune lumière artificielle. Le résultat : des œuvres radicalement différentes, chacune marquée par l’identité et la sensibilité artistiques de son auteur, malgré l’utilisation des mêmes technologies et des mêmes contraintes. Ce que nous en retenons : le format court n’empêche pas l’art. Au contraire, il stimule la créativité.


Le duanju s’inscrit dans cette logique : avec peu de temps et peu de moyens, il peut et doit produire des œuvres fortes, intenses, singulières.


La narration sérielle : une histoire ancienne


Le duanju exploite une autre dimension : l’écriture en série, choix qui n’est pas nouveau non plus. Dès le début du 20e siècle, les premiers grands feuilletons cinématographiques apparaissent. En 1908, "Nick Carter, le roi des détectives", réalisé par Victorin-Hippolyte Jasset, propose une série d’épisodes mettant en scène un héros récurrent. Quelques années plus tard, en 1915, « Les Vampires » de Louis Feuillade prolongent cette logique : un récit à épisodes, une intrigue feuilletonnante centrée sur une organisation criminelle, des personnages forts.


Le duanju renoue avec cette tradition : une narration rythmée, des épisodes courts, des personnages récurrents, tout en l’adaptant à l’ère numérique, avec ses usages modernes et une diffusion sur mobile.


Du train qui entre en gare à l’écran du smartphone


Les Frères Lumière ont changé notre rapport à l’image et au mouvement. Avec leur film considéré comme le plus célèbre, "Train qui entre en gare", projeté en 1986 dans le cinéma de La Ciotat, en France, ils ont inventé un art, un langage, une expérience collective. Le duanju prolonge cette aventure : il transpose l’intensité sur les écrans d’aujourd’hui, en condensant émotion, récit et identité visuelle dans un temps très court.


Le format court n’est donc pas une tendance récente, comme on pourrait le croire : c’est un retour aux sources. Une différence essentielle existe cependant : désormais, le choix du format court relève non plus d’une contrainte technique, mais d’une nouvelle façon de raconter des histoires à une génération pressée et multi-connectée. Le duanju, comme les Lumière, doit continuer de montrer que l’on peut faire art avec peu : peu de temps, peu de moyens, mais beaucoup d’inventivité.


Article rédigé par Maëlle Billant

Redactrice pour Duanju.fr, juriste de profession [Linkedin], et podcasteuse [YouTube]


Sources :

Institut Lumière : Les films Lumière

Cineccentric, 7 juillet 2021



 
 
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